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C'est l'automne, préparez-vous une passion pour l'hiver

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Voilà qu'avec la sortie imminente de Passion d'hiver dans les pages du numéro d'octobre (n°146) de l'élégante et inspirée revue québécoise Moebius, je me questionne grandement. Une sympathique soirée est prévue pour le lancement de ce numéro, à laquelle malheureusement je ne pourrai pas me rendre. J'aurais tant aimé : le Québec a cet enthousiasme si précieux pour la littérature. J'en veux pour preuve que Moebius, revue francophone (Québec : six millions d'habitants...), peut s'enorgueillir d'une diffusion du même ordre que la plus importante revue française consacrée à la nouvelle, notre Brèves nationale, qui pourtant ne démérite pas depuis quarante ans. Il se passe là-bas, manifestement, quelque chose qui ne se passe pas ou plus ici, ou plus dans les mêmes proportions. Ce n'est peut-être en même temps qu'une vue de l'esprit car l'édition française, la grande comme la petite, ne se porte pas si mal.

Passons. Ce n'est pas de cela que je veux disserter ce soir. J'ai été interpellé il y a quelques jours par un spectacle de Nicolas Raccah, les Silencieuses. Nicolas Raccah, comédien, monte des spectacles et se produit où le vent l'invite, généralement à domicile. Une démarche qui mérite d'être citée, imitée même. Je n'ai rien contre les théâtres à vrai dire, mais il y a quelque chose de puissant, particulièrement aujourd'hui, dans cette démarche d'aller chercher les gens chez eux. Depuis près dix ans maintenant Nicolas Raccah se produit ainsi un spectacle, avec son Petit Traité du Plaisir qui met oubli à la mort. Auquel il a donc offert une suite bienvenue, Les Silencieuses. Spectacle drôle, humble et personnel. Sujet : l'absence de voix féminines pour parler du plaisir en littérature, et ce jusqu'à des temps fort contemporains... mais pourquoi donc ?

Les silencieuses saisit à vif - sans condiments ni épices - l'histoire de la condition féminine. Celle d'une mécanique entraînant impitoyablement ses engrenages dans toutes les couches de la société, celle d'une censure violente, celle d'une auto-censure bien entendu. Celle que l'on peut deviner en feuilletant avec un sourire un peu moins narquois les petits livrets qu'on trouve encore chez les bouquinistes ; les petits manuels de savoir-vivre à destination des jeunes filles. Celle pour être tout à fait clair de la femme qui devait se conformer discrète et soumise, chaste, pour contrer son naturel évidemment libidineux, hystérique... les adjectifs abondent à leur endroit mais ils ne sont que des détours : « diabolique » traduisait parmi tous, dans sa pleine horreur littérale, le juste fond que l'on voyait aux femmes...

Tout le monde a conscience, je veux le croire à un certain degré, de ce très sombre couloir dont les femmes, essuyant les pires avanies, sortent depuis - à peine - quelques décennies. Une évolution est en route, probablement, mais nous n'en sommes encore à tous points de vue qu'au tout début...

Je reviens à ma nouvelle, Passion d'hiver. Ce texte raconte une rencontre entre un homme et une femme ; et la femme y tient un rôle diabolique. Gloups... J'ai à vrai dire eu conscience en écrivant ce texte, né d'une inspiration très ponctuelle, à l'écart de mes grands chantiers en cours, de me relier au fond des âges. Il flotte entre ses lignes une ambiance moyenâgeuse indéfinie; en même temps, le récit pourrait tout aussi bien être contemporain. Je n'ai eu à aucun moment le sentiment de reprendre à mon compte l'antienne terrible de la femme comme la marionnette de Satan, la femme comme la perte de l'homme... J'ai pensé écrire une ellipse sur le temps qui passe et les affolements auxquels nous sommes conduits pour tenter de le conjurer tout à fait vainement. J'ai eu le sentiment d'écrire un texte réversible, où ce qui arrive à l'homme aurait pu arriver à la femme et inversement.

Mais il reste que je n'ai écrit qu'une histoire, et que c'est l'homme qui meurt dans les bras d'une femme dans des conditions surnaturelles et effrayantes. Régurgitation ? Hasard ? Choix inconscient ? Je ne peux le contester : il est parfaitement possible de lire mon histoire dans le creux historique de la domination de l'homme sur la femme, de l'enfermement étiqueté de celle-ci dans les rôles les plus sataniques. J'en frissonne.

Je maintiens pourtant le sens que j'y ai mis. L'idée d'appeler la revue pour lui demander de retirer mon texte ne m'a pas effleuré. Je sais qu'il en va de la vie des idées comme il en va de l'évolution des espèces. Rien ne se révolutionne d'un coup. Les « motifs », alternativement religieux, scientifiques, romanesques, politiques, se répètent et se reformulent inlassablement. Il est utile pour l'évolution des idées que de nouvelles idées viennent se glisser derrière un motif ancien. Il faut y voir le signe du progrès, neutralisant ou retournant contre ce qui l'habitait la puissance d'un motif millénaire. La corrosion des barreaux des vieilles prisons en passe aussi par là.

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